Les nouveaux sauvages
Nous n’allons pas nous mentir, le dernier film de Damian Szifron fait un peu figure d’ovni cinématographique... Il présente quelque chose de clairement perturbant, à la limite de ce que l’on a envie de voir...
Pour cause, pendant la projection à laquelle j’ai assisté, plusieurs personnes ont quitté la salle...
Loin de moi l’idée de le faire, mais il me faut tout de même reconnaître que j’ai été à certains moments quelque peu décontenancée !
- Tout d’abord par une forme de violence à deux visages:
- une violence crue et directe, projetée telle quelle à l’écran, montrant coups, sang, morts, etc...
- et une violence plus perverse, insidieuse et psychologique, encore plus dérangeante.
- Un rythme très particulier:
- A la fois propre aux films à sketchs, très découpés, format qui participe à une proposition très incisive
- Et d’autre part, à l’intérieur de chaque scénario, un découpage du temps à la fois très longuet mais également très déstructuré, avec de fait, une montée en puissance sidérante jusqu’à ce point de non retour, où le temps s’accélère puis s’arrête... sentiment épouvantable mais libérateur.
- Une oscillation entre l’hilarité communicative et la sidérante absurdité qui touche au surréalisme, à tel point que le spectateur ne sait plus vraiment où se situer...
6 histoires différentes donc, qui ont pour point commun une montée en puissance de la violence et, n’ayons pas peur des mots, puisque c’est strictement le thème du film, de la sauvagerie humaine... à la limite de la bestialité.
L’Homme n’étant semble t-il qu’un animal parmi les autres...
Partant de ce constat, le risque aurait été la facilité, pourtant, Damian Szifron s’en sort bien je trouve, en arrêtant juste à temps...
Il va loin, très loin, il exploite l’absurde, la violence, la colère... il créait une situation toujours plus grandiloquente... jusqu’à nous faire suffoquer, douter de ce que l’on va encore supporter, et là, juste à cet instant précis, il cesse.
C’est la force du film. La temporalité parfaitement maîtrisée.
Et c’est aussi une belle leçon pour nous, spectateur: il nous emmène à voir jusqu’où ses personnages peuvent aller dans l’absurdité de leur colère, de leurs travers, mais nous, il nous laisse juste un peu en retrait, légèrement. Juste assez pour nous dire «voyez où il ne faudrait pas aller...» Il nous propose d’y réfléchir...
Ce qui lui permet de le faire, c’est la dérision et cet humour noir improbable et tellement libérateur. Ou l’art de se moquer de ce dont on veut prendre conscience.
L’analyse et la perception se font forcément avec un second degré et une réflexion sensée, parce que l’objet de la réflexion pour être parfaitement perçu est quant à lui brut et imposé tel quel.
Il ne s’agit pas de crier à l’absurdité du propos, mais de soulever l’absurdité qui a généré ce propos.
Pour arriver à cela, le film va un peu loin... il aurait pu se contenter de dénoncer simplement nos sociétés qui nous poussent toujours à l’excellence et qui condamnent l’échec; il aurait pu dépeindre les hommes infidèles comme de simples enfoirés et les femmes trompés comme de pauvres victimes; il aurait pu dénoncer des états corrompus et des citoyens abusés; il aurait pu parler d’inégalité et d’injustice. Et larmoyer. Jouer avec nos sensibilités délicates et nous apitoyer... Cela aurait été tellement simple ! Mais alors on aurait certainement crié à la facilité ! Et on se serait guère posé de questions... C’est absurde, non ?!