Un peu de lecture #2: Royales intrigues suédoises
Les romans historiques ont cela d’incroyable que s’ils sont bien écrits, ils parviendraient presque à nous passionner pour l’histoire d’êtres sinon inconnus, au moins passablement délaissés dans quelques livres poussiéreux ou amphithéâtres désertés...
Car même à bien connaître l’Histoire du 17e siècle, personne de nous tiendrait rigueur de méconnaître l’incroyable Christine de Suède, reine, s’il en fût, d’une Suède malmenée qu’elle délaissa elle-même au profit de la somptueuse Italie.
Pourtant, au gré des pages de son roman "L'échiquier de la reine" Yann Kerlau réussit le pari improbable de nous dépeindre le portrait incroyablement attachant, passionnant, et du reste intéressant, d’une reine ne l’étant pas moins.
Sur un peu de plus de 600 pages, il égraine les nombreuses frasques, passions, décisions tant sur le plan politique que religieux, d’une reine ultra-moderne, féministe avant l’heure, aux moeurs libérées, à l’esprit incroyablement vif et brillant.
Correspondante assidue des plus grands esprits de ce siècle tels Descartes, Leibnitz ou encore Spinoza, admiratrice des Belles Lettres et des Arts, elle vouera une admiration sans faille au Bernin, soutiendra Scarlatti, et initiera Rome au théâtre suivant l’exemple des plus grands auteurs français.
Son engagement religieux pour le catholicisme (religion qui devient sienne après son abdication au trône de Suède et son rejet du protestantisme) lui fera côtoyer de près le Vatican, mais ne saura gommer les travers de sa vie quelque peu dissolue.
Femme caractérielle, passablement orgueilleuse, mais entière et passionnée, on lui prêtera de nombreux amants, à défauts de lui attribuer un époux.
Son animosité pour les liens du mariage la conduira à une vie sentimentale chaotique, que Yann Kerlau prend pour fil conducteur de son roman.
A travers la sensibilité et les tourments de cette reine incroyable, il nous plonge dans l’Europe instable du 17e siècle, et nous fait traverser les tumultueuses successions du Vatican aussi bien que le règne de Louis XIV, en passant par les conflits d'intérêts que représentent les trônes de Pologne et de Suède.
Malgré quelques longueurs, l’écriture reste agréable. Contre toute attente, on apprend à rire de l’Histoire et de ses protagonistes, au gré des échanges épistolaires souvent acides de la Reine Christine, de ses Etats-d’âmes, de son esprit tellement piquant, de sa duplicité souvent, mais toujours de son amour pour l’art et le beau.
Un roman passionnant en somme, que l’on ne culpabilisera pas de lire en plusieurs fois si le contenu nous paraît un peu dense, mais que l’on n’hésitera pas à savourer tant l’écriture y est bien dispensée.
Yann Kerlau, L’échiquier de la Reine, Plon, 2010.
Extrait Chapitre 22: " La cour du roi de Pologne Jean Casimir est un vaste ramassis de sots et de butors dont les fronts bas laissent deviner le lourd combat que l'esprit doit mener quotidiennement pour y trouver sa petite place. Les polonais passent le plus clair de leur temps à chasser, à raconter des histoires de cerfs, d'élans et de loups, et, quand ils n'en dissertent pas, ils en mangent." ... "Le roi lui-même, plus rond qu'une barique, est doté d'un contentement de lui-même qui est tout bonnement navrant. Sanguin, rougeaud et violent, son faciès est plus celui d'un cabaretier que d'un souverain. Ne pouvant suporter de le voir au quotidien..."
Yann Kerlau présente L'échiquier de la Reine